04/10/2015
Un symptôme : l'affaissement du niveau des ministres
...spectaculaire sous Hollande, mais amorcé bien avant :
Approuvons la commission Winock de préconiser l'abolition du quinquennat et son remplacement par une présidence de sept ans (non renouvelable), chargée du bien commun et de la vision à terme. Ce serait un retour à la Ve République – quoi qu'en disent les carriéristes de gauche et de droite.
Et ce serait, peut-être, un début de remède à l'affaissement du niveau mental des politiciens : affaissement qui tient à d'autres causes, mais qui s'est aggravé de façon exponentielle depuis l'introduction du quinquennat par Jacques Chirac* (2000) qui a transformé la présidentielle en foire aux vanités. Devenue surenchère télévisée de bêtises entre people, la vie publique française n'a plus besoin de gens compétents**. Elle ne vise plus qu'à :
1. assurer des plans de carrière individuels (tels M. Hollande ou M. Valls faisant le vide autour d'eux pour accéder au sommet),
2. lever les dernières barrières légales qui gênaient encore un peu les multinationales : ce qui demande un personnel de ministres technoïdes, profil incompatible avec le moindre bagage culturel.
Ces deux objectifs expliquent la chute accélérée du niveau mental de la classe politique.
Le magazine du Monde (3/10) fait un portrait de Robert Zarader, « le joker du président ». Qui est M. Zarader [photo] ? Un pubard issu naguère de SOS Racisme : profil d'une extrême banalité dans le tout-Paris des trente dernières années (on le croirait sorti de la comédie acerbe de Costa-Gavras La petite Apocalypse). « Ancien trotskiste converti au social-libéralisme »***, « expert en communication », il serait à l'origine d'opérations de la plus haute importance : « certains croient voir son intervention derrière la nomination de Delphine Ernotte », c'est tout dire ! En remettant la Légion d'honneur à M. Zarader le 4 février dernier à l'Elysée, M. Hollande lui a dit : « Vous êtes un homme d'idées. C'est ce qu'il y a de plus rares, les idées. Ce qu'il convient de faire, c'est de chercher la nouvelle idée... »
Et M. Zarader a justement une idée pour faire réélire M. Hollande en 2016 : « Il faudra que le futur président parle aux Français de leur avenir. Il faut créer une société d'encouragement. L'enjeu, aujourd'hui, c'est l'envie. » En langage consumériste le mot « envie » a évincé le mot « désir », trop intello sans doute, pas assez pulsionnel ; mais il s'agit toujours de la pulsion d'achat (what else ?) et M. Zarader est un maestro du consumérisme. « L'agence de communication qu'il dirige occupe le dernier étage d'un immeuble moderne du 16e arrondissement à Paris. Il a refusé le bureau qui lui était réservé, préférant s'installer dans l'open space que partagent ses employés dont la moyenne d'âge ne dépasse pas 30 ans », nous révèle le magazine. On dirait une allégorie du Nouvel esprit du capitalisme décrit par Boltanski-Chiappello ! (Gallimard 1999). Pour M. Zarader, la réussite du quinquennat c'est la loi Macron ; et « parler aux gens de leur vie », c'est « leur parler du travail du dimanche »... Comme dit François Chérèque qui le connaît depuis vingt-cinq ans : « Quand il conseille François Hollande, ce n'est pas pour faire un virage à gauche. » M. Zarader est le trésorier du Cercle des économistes ; le principal client de son agence est Orange (d'où vient Mme Ernotte) ; et tout ce monde est proche des banques. Entre M. Zarader et l'avocat d'affaires Jean-Pierre Mignard, M. Hollande est en bonne mains.
Séquence terrible à l'Elysée
Cette classe politique parle donc des « idées » comme un aveugle des couleurs. Dans un article assassin (Le Monde 26/09), Michel Guerrin commente une séquence tirée du documentaire d'Yves Jeuland A l'Elysée. C'est lors du remaniement ministériel d'août 2014 avec nomination de Fleur Pellerin :
« Il fait beau. Les verres circulent. On se détend. La caméra s'arrête sur Pellerin, Hollande et Valls. […] Les professeurs Hollande et Valls prodiguent leurs conseils à l'élève Pellerin […] Ce qui donne :
Hollande : “Il y a plein d'idées qu'on peut avoir. La force de Lang, c'était ça, quand même ! Il était capable d'avoir des idées. Il faut des idées. Vois Jack ! Il a des idées!”
Valls : “Vois-le ! Il sera ravi!”
Hollande : ”Premier rendez-vous à avoir, c'est Jack!”
Valls : “Et Monique, l'épouse de Jack!”
Hollande : “Et Monique, bien sûr!”
Valls : “Tu peux l'utiliser.
Pellerin rigole.
Valls : “Vois Jean-Jacques Aillagon.”
Hollande : “Les anciens ministres, Jean-Jacques...”
Valls : “Va au spectacle!”
Hollande : “Tous les soirs, il faut que tu te tapes ça. Et dis que c'est bien, que c'est beau. Ils veulent être aimés!”
Plan plus large.
Hollande : “Il y a aussi une dimension économique. Ils sont très fiers d'être un levier économique. Il ne faut pas penser que ça ne les intéresse pas.” »
Guerrin ajoute :
« Bref, on n'est pas sûr que la compétence soit encore un critère pour nommer à la Culture. Ni que cette compétence soit liée à l'expertise. On sent même que l'expertise est un frein à la créativité... »
D'où la nomination d'une ignorante rue de Valois, ou d'une actrice à la Villa Médicis, avec mission de mettre des « idées » (commerciales) dans tout ça.
Mais cet engrenage fonctionnait déjà sous la droite : n'oublions pas M. Sarkozy nommant sa conseillère (une journaliste politique) à la présidence du château de Versailles ! La « gauche » et la « droite » ne sont plus que les outils interchangeables de la société de marché, et ne craignent plus de s'afficher comme tels. Guerrin écrit : « On imagine mal de Gaulle donner ce conseil [aller au spectacle] à Malraux, Pompidou à Jacques Duhamel, Giscard à Michel Guy, Mitterrand à Lang. Ce n'était pas la peine. » Mais c'était sur un autre continent mental... Depuis les années 1990 la classe dirigeante a rompu avec ce continent pour dériver vers le néant consumériste ; aujourd'hui M. Hollande nous explique que la culture se justifie lorsqu'elle est économiquement rentable. Aggravé et accéléré par le quinquennat, l'effondrement du système le fait descendre au niveau de l'hypermarché.
À suivre.
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* Chirac, ce liquidateur... Cf. mon vieil essai Ça donne envie de faire la révolution (Plon 1997).
** Songeons à la consternante série infligée au Quai d'Orsay : Barnier (flanqué de Muselier) / Douste-Blazy / Kouchner (flanqué de Rama Yade) / Alliot-Marie (flanquée notamment de Douillet) / Juppé (re-Douillet) / Fabius (Benguigui-Conway-Désir-Pellerin). Pendant ce temps, les personnalités françaises compétentes en sont réduites à donner des interviews quand les médias veulent bien leur en demander : ce qui est rare, la géopolitique n'étant pas émotionnelle.
*** Les ex-trotskistes sont devenus publicitaires, spin-doctors ou journalistes inquisiteurs. Les ex-maos sont devenus romanciers ou poètes déglingués : nettement plus sympathiques.
17:13 Publié dans Idées, Politique | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : politique, culture, françois hollande
Commentaires
JEAN YANNE
> "Quant à moi, Sire, [je voudrais] une place de directeur au ministère de la Culture. C'est pour mon fils qui a raté tous ses examens. " ("Liberté, Egalité, Choucroute", Jean Yanne, 1985).
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Écrit par : Fernand Naudin / | 04/10/2015
> Un souvenir de Philippe de Villiers:
https://www.youtube.com/watch?v=jiv8Okc-pbA
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Écrit par : Pierre Huet / | 04/10/2015
21 %
> L'introduction du quinquennat par Jacques Chirac est un des plus beaux exemples de "post démocratie" que l'on ait vu : un référendum où le oui l'emporta par 70% des votants, qui représentaient... 30% des inscrits ; remporter un référendum avec 21% des inscrits, voilà un exploit dont peu pourront se vanter.
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Écrit par : sven laval / | 04/10/2015
AILLEURS
> Sur le niveau de nos ministres je trouve ce reportage de canal + encore plus effarant
http://m.canalplus.fr/?vid=1305753
Au delà de l'aspect comique de cette vidéo, c'est le tragique qui l'emporte : si les ministres sont de cette trempe là c'est que le pouvoir est ailleurs.
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Écrit par : Ludovic / | 04/10/2015
@ PP
> Dans le dernier grand débat, Victor Loupan évoquait une interview de R. Debray, où ce dernier parlait du "pauvre Hollande". En avez-vous les références ?
F.
[ PP à Feld - Sans doute 'Le Point' du 28/09 ? ]
réponse au commentaire
Écrit par : Feld / | 05/10/2015
CHEVAUX
> si Hollande était capable de s'intéresser aux chevaux, il en nommerait un sénateur.
(mais il ne doit que s'intéresser aux courses, ce qui n'a rien à voir)
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Écrit par : E Levavasseur / | 05/10/2015
> PS : c'est une allusion à l'empereur Calligula, qui avait nommé son cheval (Incitatus) sénateur par dérision envers les institutions.
Quand le chef de l'Etat commence à en ricaner...
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Écrit par : E Levavasseur / | 05/10/2015
PATRIMOINE ?
> Parfait exemple d'idée géniale/stupide du ministère de la Culture : consacrer les journées du patrimoine à l'architecture du XXIe siècle.
Les journées du patrimoine ont été créées parce que l'État voulait freiner la politique de conservation du patrimoine architectural ancien et commençait à faire de grosses économies dans ce domaine. Officiellement, l'idée était de susciter des mécènes en sensibilisant le public ; dans les faits, il s'agissait surtout d'appliquer le système "moins on en fait, plus il faut en parler, pour compenser." Quelques journaux ont eu le courage d'en parler à l'époque, mais il sont vite rentrés dans le rang.
Cela ne suffisait cependant pas à la classe dirigeante, qui n'a pas envie qu'on puisse croire qu'elle s'intéresse à l'art du passé et qu'elle serait donc ringarde. Ainsi a-t-on vu les dites journées devenir surtout des portes-ouvertes d'institutions, où l'architecture intérieure est cachée derrière de grands panneaux didactiques ne s'attachant qu'à persuader de l'importance de l'occupant actuel du monument historique.
Mais cela ne suffisait pas encore, puisque les journées du patrimoine portaient encore en elles la trace de l'idée première. D'où l'idée de les consacrer à l'architecture actuelle et future, considérée comme le vrai patrimoine actuel. Il s'agit donc de les transformer en "journées de l'architecture". Les défenseurs du patrimoine sont furieux mais les entreprises du BTP sont ravies : bénéfice politico-économique total. Les ministres ne peuvent plus être traités de ringards ou de réactionnaires et ils soignent leur image de gagnant qui va chercher a croissance avec les dents.
Je ris jaune quand j'entends des gens scandalisés par le vandalisme de Daesh. Depuis trente ans que je travaille dans l'étude de l'architecture ancienne, j'ai vu détruire, sans plus de raison, bien des chefs-d'œuvre du patrimoine français. Seulement, chez nous, on sait enrober le vandalisme.
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Écrit par : Guadet / | 05/10/2015
@ Guadet
> Loi sur l'enlaidissement quasi obligatoire du bâti ancien:
http://www.valeursvertes.com/le-batiment-passif-frais-en-ete-chaud-en-hiver/
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Écrit par : Pierre Huet / | 05/10/2015
VASSALISATION
> Finalement, cet affaissement est parfaitement normal: les abandons de souveraineté consentis par les vassaux (terme employé et assumé par Brzezinski dans son 'Grand Echiquier') de l'empire atlantique, ont fait des fonctions de souveraineté des enveloppes vides qui donc s'affaissent. Il reste bien un appareil d'Etat, mais il se résume à de l'administratif qui ne peut que tomber sous la critique libérale faute de justification plus élevée.
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Écrit par : Pierre Huet / | 05/10/2015
@ Pierre Huet
> Tout-à-fait !
L'isolation par l'extérieur et le changement des fenêtres, prônés par l'État, ne sont bénéfiques que pour les entreprises de la construction, les plus polluantes en France. Dépense d'énergie, gaspillage et pollution énormes pour des résultats très faibles : la majeure partie des gens profitent de la hausse de température sans baisser leur consommation d'énergie.
De plus, les isolants demandent à être renouvelés régulièrement, et ils détériorent la maçonnerie en l'empêchant de respirer, rendant les intérieurs humides.
C'est très représentatif de la fausse écologie du "développement durable" et de la "croissance verte".
Jusque dans les années 1950, on savait économiser le combustible, très cher, par tout un savoir-faire. Malgré l'urgence, on ne cherche pas à retrouver ce savoir-faire, parce qu'on considère que le plus important est de faire tourner toujours d'avantage l'industrie.
Cela fait partie du vandalisme stupide pratiqué en Europe. Destruction du patrimoine artistique et destruction de la nature sont liées.
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Écrit par : Guadet / | 07/10/2015
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